Enfants et adolescents travailleurs au Pérou : des citoyens à part entière

Publié le 07.01.2016| Mis à jour le 15.01.2022

Au Pérou, près de trois millions d’enfants et adolescents travaillent pour subvenir aux besoins de la famille, voire même pour financer leur scolarité. Le mouvement de jeunes Manthoc, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, considère ces derniers comme des citoyens capables de réfléchir et de décider par eux-mêmes.


Des rythmes latinos et une odeur de bananes frites s’échappent d’une maison à la façade bleue, située dans le quartier difficile de Yerbateros, dans la banlieue de Lima, la capitale du Pérou.

Une trentaine d’enfants et une poignée d’adultes confectionnent dans la bonne humeur des jus de fruit naturels et des plats cuisinés qui seront ensuite vendus aux riverains. L’argent permettra de financer en partie le fonctionnement du Manthoc (Mouvement d’adolescents et enfants travailleurs, fils d’ouvriers chrétiens), partenaire du CCFD-Terre Solidaire qui commémore cette année ses 40 ans d’existence.

Une fois les recettes maîtrisées, les enfants et adolescents pourront les réaliser pour leur propre compte et les vendre sur les marchés ou dans la rue. Grâce à l’argent gagné, ils pourront aider leur famille, et pour certains, continuer à aller à l’école.

Avec comme objectif de « permettre aux enfants et aux adolescents travailleurs de construire leur citoyenneté », le Manthoc a été créé en 1976 par des adolescents issus des Jeunesses ouvrières chrétiennes (JOC). Le Pérou était alors marqué par la dictature et une situation économique désastreuse.

Quarante ans plus tard, si l’on s’en tient aux indicateurs économiques, le pays va mieux. Depuis dix ans, le taux de croissance annuel moyen du pays est de 6% et le pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté a sensiblement diminué, passant de 58,7 % en 2004, à 23,9 % en 2013.

Pourtant, dans ce pays de 31 millions d’habitants, 60% de la population active travaille toujours dans le secteur informel. Soit 17 millions de personnes parmi lesquelles 2,9 millions d’enfants âgés de 6 à 17 ans[[source : Institut de la Statistique du Pérou (INEI).]].

« Des citoyens à part entière »

« C’est vrai que la situation économique s’est globalement améliorée dans le pays, explique Patricia Ribeira, l’une des responsables du Mouvement. Mais comme sur le reste du continent, le travail des enfants est une réalité qu’il nous est impossible d’ignorer, car cela fait partie intégrante de notre culture. Pour les Péruviens il est d’ailleurs presque « naturel » que les enfants assument un certain nombre de tâches. Et, souvent, les familles ne s’en sortiraient pas si elles ne pouvaient pas compter sur leurs enfants ».

D’autant qu’au sein de nombreuses familles pauvres, le travail des enfants est indispensable pour pouvoir financer leur propre scolarisation. L’école publique est certes gratuite et obligatoire jusqu’à l’âge de 11 ans. Mais les uniformes et les fournitures scolaires demeurent des postes de budget très lourds pour des foyers modestes.

« A travers leur travail, ces enfants participent à l’économie du pays, assure Gisela Correa, une autre responsable du mouvement. Nous les considérons donc comme des citoyens à part entière, capables de réfléchir en se basant sur leur vécu. Et nous les poussons à agir pour obtenir le respect et la reconnaissance de leur existence et de leurs droits de la part du reste de la société, avec un minimum de participation des adultes ».

D’où l’idée d’offrir à ces enfants et adolescents travailleurs (les “Nats”)[[Ninos y adolescentes trabajadores (enfants et adolescents travailleurs)]], la possibilité de « défendre le droit à un travail digne, d’améliorer leurs conditions de travail, de santé, d’éducation et de promouvoir (ces derniers) comme des acteurs sociaux capables de participer à la construction d’une société plus juste ».
Bref ne pas être considérés comme des victimes ou même des acteurs passifs, mais bien comme des acteurs responsables.


« Les enfants travailleurs ont des droits »


« Nous avons beau être jeunes, nous avons notre point de vue sur la manière dont nous voulons et devons être considérés par l’ensemble de la société »,
assure Jean-Pierre Orosco Ruiz, 18 ans, délégué national du Manthoc.

Ce jeune homme élancé, originaire de la région amazonienne du Pérou, a commencé à travailler dès l’âge de dix ans en vendant des sachets de pulpe de fruit et des chocolats dans la rue. « Je n’ai pas été forcé à travailler car c’est une chose évidente pour tous les enfants qui vivent dans des familles pauvres. C’est comme un devoir moral que d’aider nos parents à nourrir la famille ».

Un « devoir » difficile à comprendre vu d’Europe. « Pour nous, travailler quand on peut le faire, c’est se sentir faire partie de la famille », explique pour sa part Nicole Delacruz, 14 ans, employée depuis l’âge de huit ans dans une échoppe d’un marché de Lima. Et ce, alors même que la loi péruvienne interdit le travail pour les enfants âgés de moins de 14 ans, voire même 12 ans s’ils sont accompagnés de leurs parents.

« Dans la mesure où les enfants et les et adolescents travaillent, ils doivent être traités comme des sujets responsables et respectés », estime Melissa Cajatillo, 27 ans, qui a intégré le Manthoc il y a 20 ans. « Comme beaucoup, j’ai commencé à travailler très tôt avec ma mère et j’ai pris conscience de l’importance du travail ».
Grâce au Manthoc, Melissa a surtout compris que son travail avait une valeur et qu’elle avait des droits. « Aujourd’hui, conclut celle qui a entrepris des études pour devenir avocate, je pense que le travail des enfants ne doit pas être un devoir mais un droit. Car le travail n’est pas seulement un concept d’ordre économique. C’est aussi une forme de la solidarité au sein même de la famille ».

Faire connaître leurs revendications

C’est d’ailleurs sur cette base que, depuis une quarantaine d’années, le Manthoc a élaboré toute une série d’actions. « Nous travaillons sur plusieurs axes, détaille Patricia Ribeira. Il y a notamment des actions de formation destinées aux enfants et adolescents pour leur permettre d’acquérir des compétences et une vision critique de leur réalité. Nous travaillons également sur l’incidence sociale et politique, en faisant en sorte que leurs voix soient écoutées par les organisations publiques et privées dans l’élaboration de politiques publiques sur le thème du droit des enfants et des adolescents travailleurs. Nous favorisons également le développement par les enfants et adolescents eux-mêmes de campagnes de sensibilisation de l’opinion publique sur leurs revendications, notamment celles d’être des acteurs économiques et sociaux reconnus ».

La scolarité des enfants travailleurs, enjeu majeur

Mais l’un des piliers du travail développé par le Manthoc reste la scolarité, dans un pays où, chaque année, des milliers d’enfants abandonnent l’école pour des raisons économiques.

Avec, en particulier « l’École productive Intégrale » : « L’idée est d’associer l’école et le travail », rappelle Gisela Correa. Concrètement, les élèves qui apprennent à confectionner un plat ou un gâteau, travailleront également l’orthographe en écrivant la recette, étudieront les mathématiques avec les proportions de chaque ingrédients ou encore la géographie en cherchant la provenance des produits utilisés ». C’est ce qu’on fait d’ailleurs les enfants et adolescents qui participent à la « Journée d’activité économique ».

Avec toutefois un plus : la possibilité de goûter leur « production » avant d’aller la vendre aux passants. Enfin s’il en reste.

Jean-Claude Gerez

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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