Colombie : Machisme et conflit, la spirale infernale

Publié le 01.10.2015

Si des avancées législatives significatives ont été conquises en Colombie pour les droits des femmes, ces dernières sont encore victimes de violences, d’assassinats et confrontées à de multiples formes de discriminations sociales et économiques. Une situation exacerbée par un conflit armé long de cinquante ans.


« La situation des femmes en Colombie est très grave », dénonce Kelly Echeverry, membre de l’association Vamos Mujer, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Pour elle, le sort des Colombiennes est indissociable du conflit armé. Tout d’abord, parce que les femmes et les enfants sont les principales victimes des déplacements forcés. Entre 1995 et 2011, plus de 2,7 millions de femmes ont été déplacées de force (16 % d’entre elles se sont déclarées victimes de violences sexuelles). Ensuite, parce que les violences faites aux femmes évoluent avec la nature du conflit. « Aujourd’hui, par exemple, les violences sont bien plus importantes qu’il y a dix ou vingt ans, notamment en raison des cartels de Medellin. Une guerre silencieuse s’est installée », déplore-t-elle.

Les violences se sont banalisées dans l’inconscient collectif. On n’en parle pas, comme si elles n’existaient pas, petit à petit la société s’habitue à un état de fait.

Les violences se sont banalisées dans l’inconscient collectif. On n’en parle pas, comme si elles n’existaient pas, petit à petit la société s’habitue à un état de fait. « Dans aucun pays, il ne devrait être considéré comme normal de violer ou d’assassiner une femme », s’insurge-t-elle. En outre, plus de mille femmes ont été assassinées en 2014. Ce phénomène du « féminicide » est en augmentation. « Les mentalités restent très patriarcales, explique Walter Prysthon, chargé de mission Amérique latine au CCFD-Terre Solidaire, et le conflit exacerbe cette situation. La violence est la norme. Les hommes ont cette image de l’exercice de la force dans le conflit armé, ils la reproduisent dans les relations conjugales et familiales. »

Mais, si on laisse de côté le conflit armé, la société colombienne demeure une société machiste, comme ceci est d’ailleurs le cas dans nombre d’autres pays, notamment d’Amérique latine. Un constat partagé par Anna Schmit, doctorante en anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales. Et les inégalités se retrouvent à différents niveaux. Tout d’abord dans la répartition du travail domestique. « 90 % des femmes colombiennes effectuent plus de sept heures de travail domestique non rémunéré chaque jour, alors que deux tiers d’hommes n’en réalisent que trois ! », relève Walter Prysthon [[ONU Mujeres, entité des Nations unies pour l’égalité homme-femme http://colombia.unwomen.org]]. La plupart des femmes restent par conséquent très dépendantes financièrement des hommes.

Féminisation de la pauvreté

D’autre part, malgré des quotas instaurés par la loi, la participation des femmes à la vie politique peine à s’affirmer. En 2015, elles représentent 17 % des députés et 10 % des maires [[Sauf mention contraire, les chiffres sont issus des Nations unies en Colombie http://www.co.undp.org/content/colombia/es/home/mdgoverview/
http://nacionesunidas.org.co/]]! En matière d’accès à l’éducation, les résultats sont plutôt encourageants. Les femmes sont plus éduquées que les hommes mais une fois sur le marché du travail, elles gagnent moins à même poste et même niveau d’éducation… Sur les bancs du chômage, elles sont aussi plus nombreuses : en 2014, 13 % de femmes étaient sans emploi, contre 7 % pour les hommes.

Les femmes sont plus éduquées que les hommes mais une fois sur le marché du travail, elles gagnent moins à même poste et même niveau d’éducation…

Enfin, l’accès à la terre relève du parcours du combattant. Au-delà des entraves administratives et juridiques que les femmes rencontrent pour récupérer leurs terres, des freins culturels persistent. Beaucoup d’entre elles ne se sentent pas légitimes et l’idée qu’elles ne sont pas aptes à gérer la terre dans un contexte de conflit est répandue.

Une abondance de lois non appliquées

Pourtant, depuis 2007, les avancées législatives sont réelles en faveur de l’émancipation des femmes. De nombreuses lois ont été votées mais un fossé persiste entre les textes et leur application. « Cette abondance de lois n’a pas eu les effets attendus », regrette un groupe d’organisations de la société civile colombienne dans un rapport rendu en 2013 au Comité de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes des Nations unies[[ Un regard sur les droits des femmes en Colombie, septembre 2013, rapport auquel ont participé plusieurs partenaires du CCFD-Terre Solidaire]].

La brèche entre hommes et femmes pourrait être réduite si les textes existants étaient appliqués.

Une situation si préoccupante et un manque de volonté politique si flagrant, que même le clergé s’en est inquiété. En mars 2011, les évêques colombiens appelaient déjà à un changement des mentalités. À l’occasion de la journée internationale de la femme qui, cette année-là, coïncidait avec le vingtième anniversaire de la Constitution colombienne garante, entre autres, des droits de la femme, ils réclamaient plus d’égalité pour les femmes. Ils soulignaient les avancées constitutionnelles et législatives mais précisaient que la brèche entre hommes et femmes pourrait être réduite si les textes existants étaient appliqués.

Changer les mentalités

Depuis plus de trente-cinq ans, l’association Vamos Mujer se bat pour défendre les droits des femmes. Première pierre à l’édifice, celle de la dénonciation, en Colombie mais aussi à l’étranger. « Tout le monde connaît la Colombie pour ses narcotrafiquants mais qui connaît le quotidien des femmes ? », interpelle Kelly Echeverry. « Notre rôle est donc de faire connaître, de dénoncer et de faire pression auprès des instances internationales, comme la Cour pénale internationale, pour que la voix des femmes soit entendue et que leur situation change. »

En parallèle, se déploie un temps pour la pédagogie. « Nous organisons des formations pour faire évoluer les mentalités », poursuit-elle. La conscientisation passe aussi par des campagnes de sensibilisation. À l’occasion du mondial de foot de 2008, trois organisations, dont Vamos Mujer, ont lancé la campagne « La violence contre les femmes ne fait pas de toi un champion ! », reprise en 2010 et 2014. Cette campagne destinée aux hommes a permis, grâce à un sport très populaire, de faire d’un sujet tabou un débat social ouvert, qui ne concerne pas seulement les femmes. Enfin, la lutte contre les stéréotypes dès le plus jeune âge fait aussi partie des leviers utilisés pour battre en brèche les idées reçues. « Nous les femmes, nous sommes des êtres humains qui apportons quelque chose de différent à la société. Nous ne sommes pas que des sujets de contes ou de mythes », renchérit Kelly.

« C’est nous les femmes qui avons protégé la vie. »

Fortes de ce premier succès, celui d’avoir nommé sur la place publique ce que subissent les femmes dans leur corps et dans leur vie quotidienne, les organisations féministes poursuivent leur combat sur la scène économique. « Le rêve de beaucoup de femmes est d’améliorer leurs conditions de vie. De victimes, elles veulent devenir citoyennes à part entière. » Elles s’organisent alors en réseaux de commercialisation pour mettre sur le marché les articles qu’elles produisent. Et gagnent ainsi en autonomie financière. Enfin, les hommes aussi doivent devenir acteurs de la promotion de l’égalité homme-femme. « Certains d’entre eux nous accompagnent. Comme s’ils avaient compris qu’avec toute la violence qu’a subi notre pays, c’est nous les femmes qui avons protégé la vie. » Et les femmes le reconnaissent : dans leur combat, elles ont aussi besoin des hommes !

Cet article est extrait du dossier : 2015, une année charnière pour le développement du magazine Faim et Développement d’août 2015. Vous pourrez aussi y lire les articles suivants :

Décryptage/Une occasion historique de changer les règles
Interview/Réfléchir ensemble aux politiques de développement (Tancrède Voituriez, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales-Iddri)
Focus/Amérique latine : Santé, un bilan contrasté
Reportage/Burundi : De la chicotte à la coopérative (En s’organisant, les producteurs de café transforment leurs conditions de vie et deviennent des opérateurs économiques capables d’investir).
Financement du développement : Où trouver de nouvelles ressources financières ?

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